Archives mensuelles : août 2014

Le pardon

Pour mon roman en cours que je projette d’intituler Comme nous pardonnons, j’étudie le thème du pardon sous plusieurs approches. Peut-être qu’en vous en parlant ici, vous aurez l’occasion de m’apporter quelques suggestions.

Il y a pardon et réconciliation, surtout dans le monde politique. L’Afrique du Sud est une référence, localisée et historique. Le Rwanda et bien d’autres pays en Afrique, comme certains d’Amérique du Sud, ont essayé de se réconcilier autrement. Il s’agit d’une dynamique politique dont Paul Valadier a magnifiquement parlé dans un article des Études de juin 2000, ‘Approches politiques du pardon’.

Il y a le processus du pardon dans lequel je vois, pour le moment, quatre étapes incontournables : 1. La victime se met en disponibilité pour envisager de pardonner. 2. L’agresseur prend le risque de demander pardon ; le risque est réel car si la victime n’est pas disponible pour accueillir cette demande, elle sera rejetée. 3. L’agresseur donne son pardon. 4. L’agresseur accepte le pardon. L’offense crée une relation originale entre la victime et son agresseur. Elle a quelques similitudes avec une dette financière contractée dans la double confiance en l’honnêteté du débiteur et sa capacité à rembourser. Par le pardon, l’offenseur et la victime retrouvent chacun leur liberté de vivre, détachés de l’offense ; un peu comme le paiement de la dette libère le débiteur vis à vis de son créancier. Ce processus en quatre étapes se réalise en utilisant des mots et des dispositions qui doivent être en cohérence avec le fond et qui, d’expérience, sont loin d’être instinctives. L’accompagnement trouve alors toute sa justification pour une bonne issue.

Ce processus de pardon entre humains nous amène à nous interroger sur le pardon entre Dieu et les hommes ; et pour les catholiques, sur le dogme du péché originel que St Augustin a initié comme une réponse ‘scientifique’ au mystère du mal et de la mort. « Faux savoir » dira Ricoeur. Lytta Basset dans Oser la bienveillance, affirme avec force que ce dogme est à l’origine de la culpabilité qui a profondément marqué notre civilisation occidentale et dont le pessimisme et le cynisme actuels ne sont que des avatars. À partir du 12e siècle, la confession privée polarisée sur l’aveu de ses péchés au prêtre, considérée de droit divin trois siècles plus tard par le concile de Trente sur une lamentable ignorance de l’histoire, a malheureusement entretenu ce climat de culpabilité et ses dérives mortifères.

Dans les évangiles, Jésus ne pardonne jamais : il demande à son Père de le faire. Dans la prière qu’il apprend à ses disciples, il est difficile de trouver une allusion à notre culpabilité. Nous demandons seulement à notre père d’Amour de bien vouloir nous remettre dans la dynamique d’une relation avec lui malgré nos écarts. Et notre demande s’appuie sur notre capacité avérée de nous remettre nous-mêmes en relation avec les autres vivants, comme des gamins dans la cour de récréation passent du « je ne parle plus » à « faisons la paix », sans que cela n’engage pour autant à une vie commune…

Pardon, réconciliation, culpabilité, responsabilité, liberté… Nous construisons une humanité fraternelle – les chrétiens disent l’Église, le corps mystique du Christ – avec nos pardons échangés. La joie n’est pas loin quand chacun devenu libre sur son chemin de vie, laisse l’autre libre aussi d’aller sur son propre chemin. Libres, comme les Hébreux sortant de l’esclavage de l’Égypte, pour aller au désert célébrer un culte à leur Dieu…

Daniel DUBOIS

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