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Le mistigri

Le mistigri fait partie de mon vocabulaire métaphysique. Il évoque cette phrase bien connue d’une rengaine : « Et le matou revient… ». J’ai revu récemment le mistigri. Voici.

J’avais proposé à quelques amis de partager nos réflexions sur des sujets de croyance religieuse. J’avais choisi des gens de tous bords, y compris des mécréants. Un de ceux-ci a décliné mon offre au motif que pour lui, les religions étaient des superstitions qui ne méritaient pas qu’on s’y arrête davantage ; et il a sorti le mistigri.

J’appelle « mistigri » un postulat qui affirme que rien n’est vrai qui ne puisse être démontré. Admirez la circularité : ce postulat étant indémontrable, donc faux, ce qu’il dit n’est pas vrai. Les scientistes, disciples du mistigri, affirment de leur côté que la science expliquera tout un jour ; vu les progrès récents de nos connaissances et nos appareils d’exploration, ils estiment que c’est pour très bientôt. L’annonce de cette utopie accompagne souvent le mistigri…

Que des gens intelligents, libres dans leur réflexion, puissent se perdre dans ces apories (« Paradoxe logique, contradiction logique, réelle ou apparente » comme le définit l’Académie [Dictionnaire, 9e édition]) me laisse perplexe. Et pourtant, elles ne datent pas d’hier ! Devant ce genre de situation, j’ai l’habitude de contourner l’obstacle. Comme disait, pendant la fermeture du tunnel du Mont Blanc après l’incendie de 1999, un de mes clients de Haute-Savoie, alpiniste de haut vol : « En cas de nécessité, on pourra toujours passer par en haut ! »

Car enfin, si la vérité et son contraire ne peuvent être collés à une conviction, à un témoignage, à une démonstration ou à que sais-je encore, c’est bien qu’il faut chercher ailleurs qu’au niveau intellectuel notre raison d’être et de mourir. Je change alors de registre et je me tourne vers ce qui existe manifestement et qui ne peut être prouvé scientifiquement (pour le moment, mais…) : en particulier, le désir.

Et quand je contemple ses effet, quand je vois une foi soulever des montagnes, je me dis qu’autre chose nous habite et nous meut, à côté de l’intelligence et ses fruits.

Je me tourne vers les philosophes et les spirituels, ces sages qui accordent leur manière d’être aux intuitions qu’ils accueillent. J’entends que l’être humain a hérité d’une vie animale originale qu’il incarne différemment de ses prédécesseurs, les animaux, au point que son apparition sur la planète caractérise une ère nouvelle : l’anthropocène. Dans cet héritage, il a trouvé le Désir. Désir de savoir, Désir d’aimer, en bref, le Désir d’infini.

Malheureusement, il n’a hérité que du Désir. Car il n’est pas construit pour satisfaire totalement ce Désir comme un bon repas satisfait une faim ; sinon, ça se saurait ! C’est illusion que de vouloir tout savoir, sur la vie et sur la mort en particulier ; c’est illusion que de vouloir atteindre la perfection en amour. Le Désir nous parle de nos limites ! C’est illusion que de les ignorer.

Que les religions s’occupent de ce désir est une autre question. Dans l’immédiat, le mistigri – un désir parmi d’autres – a encore, me semble-t-il, un bel avenir devant lui.

Daniel DUBOIS

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