Dans Études [4216, mai 2015, Le malaise européen, de la crise des dettes au défi de l’intégration, entretien avec Monique Castillo et Jean-Marc Ferry], à la question de Nathalie Sarthou-Lajous, « Quel est le danger de la privatisation des convictions ? », la réponse de J.-M. Ferry mérite attention : « La privatisation des convictions peut générer relativisme et scepticisme quant aux valeurs elles-mêmes, et dans d’autres groupes, induire une sectarisation, ferment par excellence des crises identitaires. D’une façon générale, une conviction, qu’elle soit ou non d’origine religieuse, n’a pas intérêt à la privatisation ; elle a plus à gagner à l’épreuve publique, parce que c’est cela qui la renforce. » [66]
Je suis entièrement d’accord avec J.-M. Ferry sur ce point. La « crise de la foi », chez nous chrétiens, et chez d’autres aussi, sans doute, vient d’une privatisation excessive de l’acte de foi. Il y a deux générations, ne comprenant rien à un culte en latin, chacun s’inventait sa relation à Dieu dans une morale strictement personnelle. Ne chantait-on pas « Je n’ai qu’une âme qu’il faut sauver » ? Depuis, le relativisme et le scepticisme ont effectivement fait leur chemin.
Je prolonge cette réflexion de J.-M. Ferry par La joie de l’Évangile du pape François qui m’interpelle en évoquant sans détour, la mondialisation de l’indifférence [§54]. Pour soumettre ses convictions à l’épreuve publique, objectif que je fais volontiers mien, il faut avoir accès à l’espace public dans lequel se joue cette épreuve. Ma culture, mon niveau de vie, mes propres convictions m’y porte. Et s’il est vrai qu’à la fin de notre vie, nous nous jugerons sur l’amour, j’admets spontanément que ce jugement portera en partie sur cette mise à l’épreuve de mes convictions en actes dans l’espace public.
Mais qu’en est-il de tous ceux qui par leur situation, chronique ou passagère, sont exclus de la sphère publique ? Ou de tous ceux qui n’ont pas d’autres moyens pour s’exprimer que de faire la une des journaux par leur violence ou leur provocation ? Comment ces personnes peuvent-elles affirmer leurs convictions si l’espace public ne leur est pas offert ? Vis à vis de ces personnes, n’avons-nous pas à nous préoccuper, d’abord de leur possibilité de confronter leurs convictions ? C’est un premier point.
La deuxième question pratique concerne l’attitude à adopter devant ceux que J.-M. Ferry évoque comme des sectaires, littéralement : qui se coupent de ceux qui ne pensent pas comme eux. Dans ce genre de débats, apparemment pipés, il est fréquent que des informations précises stoppent des dérives stériles. En préalable : être bien informé. Ensuite, utiliser les vérités connues à bon escient. L’épreuve publique ici se joue sur l’exigence de l’information. Ensuite, la sagesse humaine trouvera bien à s’exprimer.
Le 28 octobre 2014, le pape François avait reçu au Vatican les représentants mondiaux des mouvements populaires. Pour donner la parole, directement, aux habituels exclus, et non pas à ceux qui s’en occupent ou qui les connaissent. Initiative prophétique, malheureusement oubliée dans l’actualité.
Qu’en est-il de nos proches et de nos protégés ? Comment les invitons-nous à parler ? Comment les écoutons-nous ? Voilà de bonnes questions pour remettre nos convictions en perspective.
Daniel DUBOIS
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