Je fais suite à mon billet Offenses où nous avions vu que l’agresseur doit commencer par reconnaître que son comportement est à l’origine des violences ressenties par sa victime. Et qu’il doit, dans un deuxième temps, exprimer des regrets sur ce comportement.
C’est dans un troisième temps que l’agresseur et la victime peuvent se retrouver, au niveau de leur relation, pour envisager le pardon. Mais la démarche de pardon de la victime est complètement différente de celle de l’agresseur. La victime pardonne, elle donne son pardon ; l’agresseur demande pardon, il reçoit le pardon. Mais ce n’est pas aussi simple.
Quand la victime pardonne, elle laisse aller son agresseur. Elle coupe tous les liens mortifères qui entretenaient son sentiment de violence subie et son attachement à l’agresseur (syndrome de Stockholm). Quand la victime pardonne, elle s’affirme à elle-même que sa vie continue ; et même si l’agression laisse des cicatrices, la vie n’a plus besoin de s’y référer pour trouver un sens, ou pour justifier ce qui arrive désormais. Le futur envisagé pour soi, par soi, ne passe plus par l’offense mais par le pardon. C’est d’abord une disposition intime, profonde. Quand elle est sûre, ou mûre, les mots viennent pour l’exprimer. Car le pardon est un acte, et non un sentiment. Cet acte se dit avec des mots. Et la victime se dit ces mots pour elle, d’abord, avant de pouvoir les dire à son agresseur.
L’agresseur ne peut demander pardon, qu’après avoir reconnu son comportement et exprimé ses regrets. C’est au bout de son regret qu’il va pouvoir formuler sa demande de pardon à sa victime. Avec tous les risques : la victime n’est peut-être pas encore entrée dans une démarche de pardon intime, ou si elle y est entrée, elle n’est peut-être pas encore disponible pour dire ce pardon à son agresseur. Dans ce cas, il faudra du temps pour que la demande obtienne une réponse favorable.
De plus, pour accueillir ce pardon, l’agresseur doit, lui aussi, laisser aller sa victime, lui rendre sa liberté pour qu’elle ne soit plus victime, ni pour lui, ni pour elle. Car si la victime peut se libérer de l’offense par un pardon qu’elle s’exprime à elle-même, l’agresseur ne peut se libérer de son offense qu’en acceptant le cheminement de sa victime. Au risque de devoir aller jusqu’à lui pardonner sa fermeture au pardon.
Que ce soit du côté de la victime ou du côté de l’agresseur, le pardon instaure dans leur relation une nouvelle liberté que l’offense avait trahie. Celui qui exerce sa liberté pour reconnaître celle de l’autre, celui qui se pardonne et qui pardonne, ouvre un nouvel avenir que l’offense avait momentanément fermé.
Notre tradition judéo-chrétienne a pollué ces cheminements de responsabilité et de réparation avec le sentiment de culpabilité qui est tout autre chose. Dans la seule prière à Dieu que Jésus a enseignée à ses disciples, la demande « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés » exprime une analogie intéressante indiquée ici par le « comme ». Cette demande peut se comprendre ainsi : nous ratons parfois la cible dans notre cheminement pour devenir divins à cause de nos limites humaines, aussi nous demandons à Dieu de pardonner ces écarts. Par ailleurs, nous subissons personnellement, de la part de nos agresseurs, des écarts de comportement analogues, et nous leur pardonnons. C’est un fait d’expérience humaine : l’homme sait pardonner. Par cette analogie, nous demandons en fait que notre évolution vers le divin ne soit pas entravée par nos déviances. Et dans la foi, si nous sommes croyants, nous pouvons croire que nous sommes déjà exaucés.
Leçon d’espérance.
Espérance en l’Amour.
Daniel DUBOIS
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