Ma tribu comprend vingt-deux personnes vivantes en comptant les papas de mes petites-filles qui ne partagent plus nos réunions familiales. Sur trois générations, en partant de votre serviteur et de son épouse, nous trouvons nos cinq enfants (et quatre conjoints) et neuf petits-enfants.
À l’occasion de l’anniversaire de nos quarante ans de mariage, nous avions invité mes beaux-parents. Sur la photo traditionnelle prise par la serveuse du restaurant où nous avions fêté l’événement, nous trouvons, sans l’avoir cherché, quatre générations côte à côte représentées par les femmes : ma belle-mère, mon épouse, notre fille aînée et sa fille aînée. Que se passe-t-il donc, quand on se place pour une telle photo ? Nous étions dehors, sur un coteau balayé par un vent du nord très inconfortable et tout le monde était pressé d’en finir. Et voilà que nous découvrons après coup cette mise en ordre générationnelle spontanée. Du grand art !
Plus récemment, nous nous sommes tous retrouvés après le décès de mon beau-père, le lendemain du mariage d’une nièce, chez l’un de nos enfants. Étant donnée notre dispersion géographique, ces retrouvailles sont assez rares pour être soulignées. Ma belle-mère y était aussi. Le voisin de nos enfants, sollicité, a accepté de prendre une photo de famille pour la circonstance. Nous sommes sous le porche de la maison. Et que constatons-nous dans notre disposition spontanée ? Je suis en bordure du groupe, derrière mon épouse, comme si nous ne voulions pas déranger. Sur le rang de derrière, nous trouvons les conjoints de nos enfants. Devant eux, nos cinq enfants sont dans l’ordre de la fratrie, l’aînée à droite, la dernière à gauche, et forment de leur tête comme un accent circonflexe du fait des tailles différentes. Cet accent est comme un toit qui couvre leur grand-mère et leurs enfants placés devant.
J’attache une importance certaine à l’ordre des générations et des fratries car notre arrivée dans la vie se fait dans un certain ordre. Un ordre double : celui des générations et celui de la fratrie. Chaque fois que j’ai pu constater dans une famille, un déni de cet ordre (un bébé mort-né oublié par exemple), j’ai constaté des problèmes relationnels chez les frères et sœurs qui se répercutaient dans leur travail ou dans leur couple.
Nous avons perdu notre quatrième enfant quand il avait deux mois. Nous avions pris l’habitude ensuite de parler des deux dernières en disant la quatrième et la cinquième. Ayant découvert ce dont je viens de parler, nous avons changé notre discours, parlant alors de la cinquième et de la sixième. Quelque temps plus tard, la cinquième nous a confié avoir ressenti qu’il y avait quelque chose qui clochait chez nous, mais que maintenant, tout semblait en ordre.
L’ordre dans lequel nous prenons place dans l’existence nous apprend la relativité de nos limites, pour mieux les accepter et faire avec. À condition de reconnaître cet ordre et de le respecter.
Daniel DUBOIS
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