L’annulation de la venue d’une conférencière lors d’une formation de responsables de pastorale familiale dans un diocèse de France fait débat. La pastorale familiale s’occupe de l’annonce du message évangélique aux familles, aux enfants, et de sa mise en œuvre concrète. Cette formation était certainement stratégique. La conférencière rejetée devait intervenir comme spécialiste du care. Mais on lui reproche une supposée proximité de pensée avec Judith Butler, initiatrice de la théorie du gender. On nous dit que des traditionalistes seraient intervenus en haut lieu pour supprimer cette intervention qui d’après eux, aurait fait désordre.
Dans Pentopie, de Hermès à Petite Poucette, (Le Pommier, 2014), Michel Serres rappelle que le débat est par nature stérile, qu’aucune invention n’est apparue dans un débat. Par ailleurs, Laurence Rossignol, la nouvelle secrétaire d’état à la famille, souhaite l’apaisement et le dialogue pour légiférer sur la famille. Le débat aurait-il disparu ?
Initialement, le débat était un exercice universitaire pour apprendre le maniement des concepts et leurs articulations : un des débatteurs cherchait à convaincre l’autre d’adopter son point de vue. L’exercice est devenu aujourd’hui un vrai sport télévisuel, très fréquent en période électorale, susceptible de départager des politiques opposés, en partant d’un présupposé que la supériorité dans le débat correspond à une supériorité pour la conduite des affaires publiques.
Le débat nécessite un cadre, précis, dans l’espace et le temps. Sinon, c’est une dispute qui a toutes les chances de dégénérer. Le débat a ses acteurs, mais son objectif est surtout de convaincre les spectateurs. Le débatteur astucieux va donc éviter les paroles qui fâchent, cherchant l’adhésion du spectateur, éventuellement sur le dos des autres acteurs. Ces débats convoquent des sentiments, des savoirs incontrôlables. Ils cherchent une reconnaissance qui légitime la prise de pouvoir.
Il est difficile de refuser à quelqu’un d’avoir des sentiments, surtout différents des siens. Ça peut ne pas nous plaire, mais tant qu’on en reste aux sentiments, il n’y a rien à dire. Le problème, c’est quand on passe du sentiment (« je n’aime pas ») à la valeur (« ce n’est pas bon » ou « ce n’est pas beau »). Le sentiment devient jugement. Et le jugement cherche des preuves dans le savoir qu’il habille alors de vérité. À aucun moment de ce processus, il n’est exact de parler de débat. Il s’agit de discours idéologiques ou démagogiques, qui s’entrechoquent.
Le dialogue, qu’on oppose à juste titre au débat, est tout le contraire de ce discours. Le cadre n’admet plus de spectateurs. L’objectif est d’élargir la connaissance réciproque. Chacun parle, à tour de rôle, pour faire connaître à l’autre ce qu’il aime (ses sentiments), comment ces sentiments le motivent (donnent de la valeur à ses actions), nourrissent ses convictions (son savoir et ses articulations) et s’expriment au final dans ses émotions (joie, tristesse, dégoût, peur, etc.). Un dialogue démarre plus facilement quand chacun exprime sa vision de l’environnement partagé (la météo, par exemple). Un dialogue est vrai quand chacun dit des choses justes sur lui. Un dialogue est profond quand il permet le partage des émotions. Le dialogue confirme à chacun son incomplétude, sa finitude ; il est alors ouverture ; en ce sens, il est fécond.
Il ne tient qu’à nous, me semble-t-il, de remplacer nos débats futiles en dialogues utiles.
Daniel DUBOIS
Tous droits réservés © Daniel Dubois – Décines, 2014