Le bois-canon est un arbuste de la forêt amazonienne. Quand des bulldozers ont charrié, hélas, des tonnes de terre pour construire la Transamazonienne, ils ont permis aux graines de bois-canon, enfouies trop profondément pour germer, de remonter à la surface et donner naissance à ces arbres préférés des paresseux pour leur tendreté. Enchanté, mais encore ?
Et bien, je ne reste jamais insensible aux histoires de graines. Sans doute à cause de mes premières leçons parentales en sciences de la vie qui m’ont conduit à proximité des mystères. Car une graine, c’est une capacité, une possibilité de devenir : un rejeton d’abord, puis un tronc, puis des feuilles, des fruits et donc des graines encore. Capacité de capacités, en quelque sorte. Ce que nous sommes, nous aussi, bien évidemment, chacun à sa place.
Comment se fait-il que nos capacités, nos talents (‘as sets’ comme disent les anglais) soient si méconnus, que ce soit dans les familles, dans les écoles ou les entreprises ? Et que de contrariétés, que de gâchis dans cet aveuglement ! Je vais me risquer à quelques réflexions.
Tout d’abord, pour découvrir des capacités, près de soi, il faut disposer, me semble-t-il, d’une capacité personnelle à s’étonner, mieux, d’une capacité à s’émerveiller. Il est vrai que notre routine confortable et nos trépidations pendulaires ne nous y invitent guère ; on peut difficilement, sauf exception, monter au sommet d’une montagne tous les matins pour voir le soleil se lever, ou aller contempler tous les soirs son coucher sur l’océan. La nature se donne à notre émerveillement, mais les occasions sont rares pour l’accueillir. La musique et la poésie sont des fréquentations utiles pour développer son émotion esthétique. Pour ceux qui vivent en famille, le regard positif sur son conjoint, ses enfants ou ses parents, sa belle-famille, est aussi une disposition très formatrice, et ce ne sont pas les occasions qui manquent. Dans tous les cas, il faudra commencer par s’arrêter de courir, par accepter de se poser, sans rien faire d’autre. Difficile, mais possible.
Ces conditions acceptées, le travail commence par la contemplation : voir, écouter, ressentir. Non pas pour comprendre, mais pour être avec. Vouloir comprendre nous ferait trop rapidement déraper dans le jugement, complètement stérile dans notre préoccupation présente. ‘Être avec’ signifie rentrer dans la dynamique de vie de l’autre, ou pour le moins, l’accompagner dans ce qui le pousse à vivre, ou encore partager son plaisir de vivre. Quelques indices : comment l’autre organise son espace vital, sa chambre, son bureau, ses relations… Dans quels contacts s’épanouit sa sérénité ? Dans quelles limites ?
Maintenant, nous arrivons au moment critique de la maïeutique : comment faire émerger les capacités cachées ? C’est simple, il faut un bulldozer comme pour la Transamazonienne. Entendons : un projet, ambitieux ou dérangeant, étalé sur la durée, mobilisant du monde, pas nécessairement écologique, hélas. Un surgissement ! Parfois une prise de conscience. Surveillons alors que ces capacités ne remontent pas trop haut, elles dessècheraient d’orgueil ; préservons leur intimité pour que l’estime de soi s’enracine profondément ; arrosons-les aussi : reconnaissance, confiance, encouragements. Et laissons-les grandir : autonomie, responsabilité. Quels dosages subtils, n’est-ce pas ?
Une dernière recommandation : méfions-nous des paresseux qui cherchent à brouter nos jeunes capacités émergentes !
L’avenir de notre planète, de nos sociétés, de nos églises et de toutes nos communautés, dans le basculement de civilisation que nous sommes en train de vivre, a besoin de toutes les capacités disponibles. Il s’agit d’un enjeu existentiel. Ces capacités existent. Il suffit qu’elles se révèlent.
Que je n’oublie jamais alors, ni l’émerveillement, ni le bulldozer…
D. Dubois
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