La tentation de l’intransigeance

C’est une contribution de Mgr Dagens, l’évêque d’Angoulême, de l’Académie française, dans le forum de La Croix du 22 avril dernier, p. 25, intitulée Le catholicisme intransigeant, une tentation permanente, qui m’inspire aujourd’hui.

Selon Claude Dagens, certains catholiques français se coulent dans une vieille tradition pour réagir aux circonstances, avec un esprit offensif qui s’est développé au 19e « pour résister à tous ceux qui semblaient hostiles à l’autorité de l’Église ». Bien que les idéologies qui animent ces combats soient mortes, il attire notre attention sur un risque : « si les ultras devaient l’emporter chez les catholiques, alors la voie serait libre pour les ultras anticléricaux, trop heureux de relever le défi qui leur serait lancé » et il rappelle la véritable urgence : « lutter contre tout ce qui déshumanise notre société, contre tout ce qui envenime les pauvretés muettes, contre tous ces processus qui réduisent les personnes à des objets manipulables […] en tous domaines. » Pour conclure en rappelant la mission du chrétien : « nous déterminer de l’intérieur de notre foi catholique […] disciples et témoins de Celui qui est venu pour “chercher et sauver ce qui était perdu” (Luc 19.10) et aussi pour “réunir les enfants de Dieu dispersés” (Jn 11.52). »

Je suis particulièrement sensible à ce type de discours que j’entends d’abord sur son niveau historique, clairement indiqué : « remettre les réalités dans une perspective historique ». L’histoire nous apprend que les chrétiens ont depuis longtemps la tentation d’être intransigeants en affirmant leur identité par opposition à ceux qui les attaquent, plutôt que d’être disciples et témoins du Christ. Pierre s’opposant à Jésus qui annonce sa passion, malgré sa confession de foi juste avant, incarnait déjà cette attitude. Et Jésus lui avait répondu : « Passe derrière moi, Satan ! ». Boniface VIII voulant « soumettre toute créature au pontife romain » (bulle Unam Sanctam, en 1302) déclencha la colère de Philippe le Bel, et le gallicanisme dont on commence tout juste de sortir. Les Intransigeants, avec leur leader El Cristero et ses excès, sont bien connus de Google suite à la fermeture à répétition de leur site depuis 2008. Cette intransigeance, qui est une véritable tentation, consiste à se polariser sur ce que l’on peut combattre, ce que l’on « doit » combattre. Au détriment de ce qu’on doit être.

Le père Dagens rappelle le lieu du véritable combat chrétien : lutter contre tout ce qui déshumanise notre société. Il s’agit toujours d’un combat, mais non plus contre les opposants de notre religion, mais contre les opposants de l’humanité. Il ne s’agit plus de se poser en victimes, mais d’être avec les victimes de la déshumanisation. Il ne s’agit plus de tirer notre énergie de ceux contre qui nous pourrions lutter, mais de notre cœur intime et de l’Esprit qui l’habite, faisant de nous des disciples et des témoins, acteurs de miséricorde. Ce n’est plus un changement de perspective, c’est tout un renversement, une conversion permanente.

Ce discours s’adresse principalement aux chrétiens qui ont vocation d’aimer leurs ennemis. Il peut être entendu de tout homme qui se réclame spirituel. L’engagement en humanité part en priorité du cœur et de sa capacité à la miséricorde, et non dans une croisade pour les valeurs traditionnelles. Notre énergie vient de la transcendance qui nous habite, cette force d’amour qu’on peut imaginer être à l’origine de la vie ; et non de la pugnacité de nos opposants ou contradicteurs, souvent polluée. Notre bonheur de vivre s’enracine alors dans cette rencontre entre ce qui nous terrasse et ce qui nous dépasse, accueillie au plus intime de chacun, pour un engagement total.

Ah ! Si dans nos initiatives, nous pouvions être aussi intransigeants avec nous-mêmes pour cette dignité, pour ce service !

Daniel DUBOIS

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