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Institutions

Je suis confronté, avec un proche accueilli en institution, aux questions d’évolution et d’adaptation. La complexité de cette situation m’interroge.

Nous savons tous qu’une institution dépense une bonne partie de son énergie pour se maintenir en vie. C’est l’instinct de survie qui mériterait à lui tout seul une longue réflexion… C’est vrai pour une personne comme pour tout être vivant, et aussi pour une communauté, un pays, un mouvement politique, une civilisation.

Ce réflexe vital s’exerce dans deux directions : vers l’extérieur et vers l’intérieur. Toute institution lutte contre des attaques extérieures. Un pays se défend contre son envahisseur. Un mentor va s’acharner à contredire ceux qui mettent en cause ses convictions, car sans elles, sans leur force, son œuvre risque de mourir. Un prosélyte va chercher à supprimer ceux qui ne partagent pas ses croyances pour pouvoir rester droit dans ses bottes.
La lutte contre l’extérieur s’exprime aussi dans la différence des rythmes d’évolution : celui de l’institution en interne et celui du monde qui l’entoure. C’est particulièrement vrai dans des cadres mettant en jeu le respect de certaines valeurs perturbées par l’évolution de notre civilisation. Le hérisson se met en boule face au danger, et c’est ainsi qu’il meurt écrasé sur la route. En revanche, aller affronter les mécréants sur leur terrain est bien risqué, car le terrain est miné. Et pourtant, les séracs, ces lignes de brisure, font la beauté d’un glacier épousant son terrain mouvementé.

On peut dire aussi que toute institution cherche à se protéger de l’intérieur. L’informatique et ses virus nous ont familiarisés avec les chevaux de Troie, ces trojan en anglais. Un artifice ou une mascarade font rentrer l’ennemi à l’intérieur de la clôture, et une fois dans la place, il y répand son œuvre de mort.
Il y a plus subtil. Une institution destinée à accueillir des personnes « particulières » définit un projet, un règlement intérieur, bref, un ensemble de codes qui lui permettent de dire si telle personne peut être accueillie ou pas. Or cette institution est animée par une équipe et sa direction, soumises comme tout le monde au vieillissement. Les personnes accueillies aussi. Les années passent et deux nouveaux types de situations vont mettre l’institution en danger Ses animateurs sont remplacés par des plus jeunes ; comment vont-ils incarner le charisme des fondateurs ? Et deuxièmement, les personnes accueillies avançant en âge posent des problèmes liés au vieillissement. Si celui-ci a été envisagé initialement (âge limite, par exemple), tout est normal. Sinon, que fait-on ?
S’acharner à vouloir respecter un cadre mis à mal par la simple évolution de l’âge des acteurs peut devenir rapidement cornélien. Soit on y perd son âme, soit on éjecte du cadre celui qui indispose. Or l’accueil des différences nous enseigne que toute évolution favorable se fait en intégrant l’inouï, l’insolite, l’inattendu. Non pour le plaisir de la nouveauté, mais tout simplement pour faire du neuf, pour relancer la vie. Comme une greffe, avec un risque de rejet.

Une greffe se prépare. Ensuite, il suffit d’essayer, en faisant le pas sans attendre d’être sûr que ça prenne.

Daniel DUBOIS

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