Archives mensuelles : février 2014

À Dieu, Père Bogros !

Je viens de perdre mon deuxième père. Il s’est éteint dans la sérénité de son grand âge. Nous avons été prévenus de son décès par sa nièce, presque immédiatement : « Il pensait bien à vous ».

Je l’avais rencontré un dimanche à la sortie de sa messe, fin 1967. Après huit années en séminaire, j’avais changé d’orientation et j’étais en classe prépa HEC. Chef scout dans une paroisse du centre ville, j’avais suivi mes amis chefs dans leur paroisse toute nouvelle de la périphérie nord. Leur curé (ancien professeur, notamment de Stan Rougier) faisait, disaient-ils, des sermons captivants.

Je n’avais pas été déçu. Ni par le discours, ni par l’assemblée : beaucoup de jeunes, dont plusieurs prenaient des notes. Sur le parvis, après la messe, nous avons fait connaissance. Cet homme se plaisait à rencontrer les gens. Sa joie profonde s’alimentait de leur contact. Un être charismatique, tout simplement. Dans le quartier, les gens qui ne venaient pas à l’église, il allait les voir chez eux, en Solex. Il avait l’amour des simples, ayant le don pour mettre en lumière leurs qualités, de faire en sorte qu’elles s’expriment, concrètement. Ça crée des liens, nécessairement.

Malgré mon changement d’orientation, il avait senti chez moi, mon souci missionnaire et mon amour de la Bible. Il m’avait proposé d’animer un club de découverte biblique pour les jeunes de mon âge. Il mettait une salle paroissiale à ma disposition et me laissait carte blanche. Il souhaitait seulement passer en fin de nos réunions pour nous saluer. Il n’y venait jamais les mains vides. Notre club a fonctionné un an avant que la vie nous disperse. J’y ai rencontré ma future épouse.

Il nous a mariés. Il a baptisé nos premiers enfants. Notre aînée lui était restée très attachée. Il a accompagné notre premier groupe de foyers informel. Puis nous avons déménagé, restant en lien.

Son exigence évangélique le mettait souvent en opposition frontale avec son évêque. Pour que les gens ne s’ennuient pas pendant la messe, il faisait dire à haute voix la prière eucharistique par tout le monde, sauf les paroles de la consécration bien sûr. Entorse liturgique très mal vue en haut lieu ! Mais qu’il a maintenue. Je me rappelle aussi la manifestation devant la cathédrale à l’occasion de l’anniversaire de la croisade prêchée par le pape Urbain II au même endroit en 1095. Il était au premier rang pour dénoncer une démarche barbare indigne des chrétiens.

Je ne l’ai jamais entendu dire du mal de quelqu’un. Mais il avait des silences éloquents. Envers ses proches, il maniait un humour délicat, tendre. Sa discrétion était légendaire.

Il était un homme de prière. Quand je le raccompagnais chez lui à Royat après un souper à la maison, il me demandait de le laisser devant l’église. Il y rentrait dans l’obscurité, au lieu d’aller directement chez lui par la porte du presbytère. Combien de temps restait-il là face à son Seigneur, dans le noir où perçait seulement la petite lampe rouge ?

Dans une de mes lettres, je lui demandais comment Jésus avait pu prendre conscience de sa nature divine. Sa réponse, par retour, in extenso : « Je ne sais pas. Je me contente de contempler Jésus ressuscité ». Le cœur de notre foi, en quelques mots !

Nous partagions, complices, l’exigence de la liberté évangélique. Je prends conscience qu’il m’a appris la contestation joyeuse. Contester pour ne pas suivre le troupeau spontanément, tout en l’aimant, solidaire ; avec joie, parce que dans le plus intime de moi-même, je sais être sur le chemin où Dieu m’attend, malgré les peines et les souffrances. Je lis cette certitude dans le visage des autres, visages de Dieu.

Merci Père Bogros ! À Dieu.

Daniel DUBOIS  facebook  twitter

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