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Une question d’assurance

Mon téléviseur est tombé en panne. J’avais souscrit une assurance au moment de l’achat qui me permettait dans les cinq ans de récupérer un matériel analogue, neuf, en cas de panne. J’ai donc récupéré un matériel neuf équivalent que j’ai de nouveau assuré pour cinq ans de la même manière. On ne sait jamais… Mais cette aventure banale m’a fait réfléchir. Voici.

En achetant un téléviseur, je fais acte de foi envers toute une chaîne de concepteurs, fabricants, distributeurs (fussent-ils agitateurs d’idées) et installateurs. Et je m’engage sur la fiabilité de ce matériel, reconnaissant qu’il vaut la somme que je dépense, après l’intérêt que j’ai porté à ses concurrents et aux arguments d’un vendeur doué d’une bonne mémoire technique.

Maintenant, quand à l’occasion de cet achat, on me propose une assurance qui prévoit d’échanger le matériel en cas de panne, avec un matériel neuf équivalent, nous (votre serviteur et son vendeur) passons dans un autre registre. Nous posons en effet comme principe que le matériel peut tomber en panne, donc qu’il n’est pas fiable.

Alors, fiable ou pas fiable ?

La décision d’achat est une opération complexe. Elle joue, au-delà d’un besoin éventuel à satisfaire, sur la perception d’une équivalence bien matériel = valeur en argent. Elle est un choix entre différents biens après comparaisons. Mais aussi, la décision finale intègre des éléments psychologiques liés à des émotions souvent primaires comme la peur ou le plaisir. Quand je vendais des systèmes informatiques, je savais bien que le choix d’un fournisseur par un client était irrationnel au moins à 50% ! Et ne parlons pas des choix politiques…

Qu’un système de vente associe à la vente principale – un bien échangé contre une somme d’argent – une vente accessoire (en termes juridiques) comme une assurance, destinée à traiter une peur, se présente donc comme un système logique.

Sauf que dans le cas présent, j’ai le sentiment qu’on m’a vendu et que j’ai acheté, deux choses contradictoires : la fiabilité reconnue au matériel choisi et sa non-fiabilité couverte par une assurance. En poussant le bouchon, je dois reconnaître que dans cette affaire on m’a pris pour un schizophrène et j’ai accepté de jouer ce rôle.

J’entends déjà de bons psychothérapeutes me conseiller de me contenter de la garantie : là au moins, le manque de fiabilité est un risque assumé par le fabricant. Risque néanmoins intégré dans le prix, mais au moins, les choses sont claires.

J’entends aussi de bons philosophes invoquer ma liberté : je ne suis pas obligé de prendre cette assurance qui affirme que le matériel n’est pas fiable. Ma schizophrénie, si elle me dérange, serait ainsi vite résolue.

Mais pour moi, le débat n’est pas, d’abord, sur ce terrain. Je suis interpellé par un système de vente proposant une contradiction, acceptable par tout un chacun.

Car dans cette affaire, quel type de consommateur ai-je été ? Ou plus précisément, comment aurais-je pu réaliser cet achat en restant sain d’esprit ? Qu’est-ce qui m’empêche d’accepter la garantie constructeur comme seule assurance, et d’assumer les risques qu’il me revient d’assumer en tant que propriétaire du bien ?

Car si dans un acte d’achat, je suis capable d’un tel comportement basé sur une contradiction, ne serais-je pas capable des mêmes anomalies comportementales dans mes autres activités et relations ? Par exemple, suis-je capable d’accepter une relation qui se présente dans sa simplicité et avec son risque, en prenant l’autre tel qu’il est ; c’est-à-dire sans l’habiller de tous mes a priori ou présupposés pour me rassurer ?

Un nouvel art de vivre, volontaire, audacieux dans sa simplicité est-il encore possible ? Où en est mon désir d’aimer la vie, en acceptant ses risques de mort comme j’accepte ses plaisirs et ses joies ?

Daniel DUBOIS

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