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Tristesses

En l’espace de quelques mois, ma famille a été confrontée à un deuil et deux alertes avec hospitalisation et prise en charge importante. Il s’agit d’hommes, âgés, des personnalités affirmées, des personnes aimées. Nous avons vécu ces épreuves dans la tristesse.

Maintenant que pour le deuil, le temps commence à faire son œuvre et que pour nos hospitalisés, la médecine apporte un léger mieux apprécié, je m’autorise à m’interroger sur la tristesse vécue. En fait, deux tristesses.

Je parlerai d’abord de cette émotion qu’on appelle la tristesse et qui peut s’habiller de multiples formes dépendant des personnes et des circonstances ; elle est réaction à un tableau, un geste, un mot ; soudaine, incontrôlable, au moins au départ. De cette émotion, dont les pleurs sont la manifestation la plus générale, on dit souvent qu’il faut que ça sorte. Comme si une dynamique de mort devait être expurgée pour laisser vivre sa vitalité personnelle. Du fait de ses multiples formes, on peut parler de tristesses au pluriel, comme on montre des fleurs dans un champ : nombreuses et variées.

Cette émotion, qu’on oppose tout naturellement à la joie, se caractérise aussi par un rythme qui lui est propre. D’abord envahissante, même si on s’y attend un peu, avec une force difficilement contrôlable, elle se calme progressivement, la personne émue reprenant, et ses esprits, et sa maîtrise. Cette émotion est passagère. Elle est le propre d’une personne bousculée par une situation douloureuse, qui progressivement s’approprie cette situation pour vivre avec. Le proche accompagne cette évolution, veillant à ce que la personne triste ne s’enferme pas dans sa tristesse.

Mais à-côté de cette émotion, il y a le sentiment de tristesse, qui n’est pas du tout la même chose. Un sentiment, on baigne dedans, à la limite on s’y complaît, on l’entretient, on le nourrit. Par rapport à l’émotion de tristesse, comparable au torrent de montagne qui dévale la faille d’un versant abrupt, le sentiment de tristesse serait comparable à un étang sur lequel, même les tempêtes ont du mal à faire des vagues. Cette impassibilité permet de souffler un peu. Mais la vie, ce n’est pas souffler, c’est se battre, c’est affronter le relief des réalités. Ce genre de situation doit donc évoluer. La mélancolie est difficilement compatible avec la volonté de vivre.

Or la confusion fréquente entre l’émotion et le sentiment provoque des complications inutiles, et parfois des comportements aberrants. Autant une émotion doit être respectée dans sa venue et son expression, les proches veillant seulement à éviter des débordements intolérables, autant un sentiment négatif doit être combattu pour le réduire, car après un temps normal de récupération, le sentiment négatif devient par nature nuisible, mortifère.

Accepter cette distinction, poser les comportements correspondants n’est pas une démarche simple. Elle permet pourtant d’entrevoir la joie qui semble bien être ce pour quoi nous vivons et ce dont nous devons témoigner pour être bien ensemble.

Daniel DUBOIS

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