Archives mensuelles : février 2013

Maîtriser ou accueillir

J’ai déjà abordé cette problématique dans un contexte polémique, après l’été caniculaire de 2003 pendant lequel plus de dix mille personnes sont mortes de la chaleur en France. Ma colère était encore chaude face à la scandaleuse incurie des pouvoirs publics et à notre individualisme recroquevillé. Cette problématique me semble, hélas, toujours d’actualité.

On juge souvent un bon responsable – je veux dire un responsable efficace dont la paie est justifiée – à sa capacité de maîtriser ce qui se passe : « Pas de problème, Patron, je maîtrise ! » ; autre version : « La situation est sous contrôle ! » Venant d’un ancien, rôdé à toutes les ficelles, l’affirmation engagera une sérénité certaine ; mais venant d’un jeune, le sentiment risque d’être mitigé à cause de son expérience limitée et surtout parce qu’un jeune qui se respecte, colorie volontiers l’univers qui l’entoure aux couleurs chatoyantes de son idéal.

En nous retournant sur notre existence, nous les plus anciens, que constatons-nous ? S’il nous est arrivé de contrôler ce que nous pouvions faire ou décider, il nous est surtout arrivé de recevoir tout un tas de choses dont nous ne maîtrisions absolument pas, ni l’envoi, ni la réception : à commencer par notre vie, puis notre éducation, nos études, nos rencontres, notre conjoint, les talents de nos enfants, notre travail concret, nos maladies et autres soucis, sans oublier la mort inévitable.

Mais recevoir n’est pas nécessairement accueillir. Accueillir, c’est prendre pour soi ce que l’on reçoit ; c’est échanger un don contre une parole, dire à son interlocuteur qu’on a bien reçu son envoi, avec tel ou tel sentiment ; que ça me concerne, que je vais en faire mon miel. Lui chuchoter aussi comme en amour, qu’il était le seul possible pour m’envoyer ce message ou pour s’abandonner dans cette caresse.

Pour contrôler ou pour maîtriser, il y a, me semble-t-il, un préalable qui s’apparente à l’accueil : le respect du contexte, de l’environnement, avec ses contraintes et ses opportunités : c’est du concret que je vais pouvoir malaxer, pétrir, comme un potier avec sa boule de glaise. En revanche, si le contexte se réduit à mes représentations, que vais-je bien pouvoir maîtriser ? Car hélas, nos certitudes ont cette diabolique faculté de nous enfermer dans des univers irréels.

Ceci posé, n’est-il pas abusif d’affirmer qu’on maîtrise un projet, un objectif, une situation uniquement parce qu’on dispose des compétences techniques ? En fait, beaucoup de projets s’échouent sur les grèves de l’illusion, pour cause de mésententes, de relations bafouées. Dès qu’une relation est en jeu, dans la délégation, dans un travail d’équipe, en famille, en couple, dès que la Vie, dans son respect élémentaire repose sur notre ‘être avec’, maîtriser ou contrôler ça signifie quoi ?

Ça signifie que j’accueille l’autre, et ma relation avec lui, au même titre que le contexte, avec les mêmes risques. En recadrant éventuellement la relation ; et peut-être même en y mettant un terme si le recadrage est impossible ou inefficace. Mais toujours avec un regard critique : un œil pour la relation et un œil pour le contexte. Par exemple, j’ai souvent constaté qu’en formation ou en accompagnement, l’essentiel se passe à partir du moment où celui qui chemine, lâche le contrôle pour devenir accueillant à la nouveauté : celle qui s’invite dans son entourage ; et surtout celle, discrète et patiente, qui perce en lui-même. Alors, devenu disponible, il entend une attente. Et devenu libre dans son accueil, il peut y répondre. La joie, à défaut du plaisir, n’est pas loin…

Maîtriser ou contrôler : des caprices de gamins ? Des passages obligés, mais négligeables ? Peut-être. Mais en revanche, être attentif à ma capacité d’accueil m’amène à mieux comprendre comment vivre, et comment mourir : dans la sérénité.

D. Dubois

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