Archives mensuelles : mai 2013

La banalité du mal

Le film Hannah Arendt de Margarethe von Trotta nous rappelle la couverture du procès d’Eichmann que la philosophe consigna dans son livre Eichmann à Jérusalem : rapport sur la banalité du mal [Folio, 1991].

La thèse principale de ce livre est une interrogation : comment un homme a-t-il pu commettre de telles cruautés, systématiquement, par souci d’obéissance, sans aucune conscience de porter atteinte à une dignité humaine. Claude Obadia, dans Hannah Arendt et la banalité du mal [La Croix du 13 mai 2013], précise en effet qu’Eichmann : « est fort d’une conscience morale qui lui dicte une obéissance sans limite et lui permet, précisément, d’agir avec le sentiment de l’accomplissement d’un acte désintéressé. »

Il ne s’agit donc pas d’une absence de conscience, mais d’une conscience polarisée sur autre chose, si l’on peut dire, que la dignité humaine. Il ne s’agit pas du mal soi-disant présent en tout homme qui s’exprimerait par la haine, par l’idéologie ou les convictions contre celui qu’il faut tuer. Rien de tout cela chez Eichmann. Il s’agit du mal dans toute sa banalité.

Cinquante ans se sont écoulés depuis la sortie de ce livre. Notre monde a connu depuis d’autres tragédies et génocides. Notre culture occidentale s’enfonce dans l’individualisme, la toute-puissance technique, l’omniprésence relationnelle avec Internet. Quelles leçons en tirer aujourd’hui ?

Claude Obadia précise : « l’impératif du devoir ne doit en aucun cas être indifférent à l’homme ». La formule me semble juste ; elle mérite cependant un développement concret.

Alors qu’on entend souvent les mots « droits » et « respect », ici on nous parle d’« impératif » et de « devoir », c’est-à-dire sans alternative possible et sans la nécessité d’un gendarme. Alors je m’interroge : comment envisageons-nous nos devoirs courants ? Par exemple : respecter une limitation de vitesse ; respecter la priorité d’un piéton attendant de traverser devant un passage clouté ; respecter l’autonomie de nos enfants dans leur pédagogie avec leurs propres enfants ; la liste serait bien longue de toutes ces questions qui pourraient fâcher facilement. Donc première piste : nous rappeler nos devoirs journaliers comme une assise, incontournable, pour éliminer la banalité du mal.

« Ne pas être indifférent à l’homme ». Ne pourrait-on pas dire la même chose en positif ? J’aime bien, pour ma part, me référer aux dix paroles, la loi donné par Dieu au peuple juif en train de naître dans le désert qu’on appelle le décalogue. Je passe sur les trois premières qui concernent le rapport de l’homme à Dieu. Respecter un jour de repos dans la semaine (le Shabbat) : pour que l’homme se rappelle qu’il n’est pas tout puissant et qu’il doit du temps à Dieu. Honorer ses parents : que chacun puisse connaître son père et sa mère, ses géniteurs, pour leur assurer une fin de vie décente en réponse à la dette de la vie. Ne pas tuer : respecter la vie. Ne pas commettre d’adultère : respecter le cadre de la transmission de la vie. Ne pas voler : respecter l’espace de l’autre et tout ce qui s’y trouve. Ne pas faire de faux serment : oser des paroles de vérité. Ne pas convoiter : limiter son désir à ses capacités. Rien dans tout cela ne dit qu’il faille obéir aveuglément à son chef. Deux prescriptions positives ; cinq limites.

Cette simple énumération nous met spontanément face à des questions toujours actuelles, nous laissant imaginer des solutions a priori simples. Combattre la banalité du mal est sans doute une question d’éducation pour connaître nos devoirs et les respecter. Mais dans ce décalogue, en reconnaissant et en acceptant nos limites, n’avons-nous pas de quoi faire germer une banalité du bien ?

Daniel DUBOIS

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