Face au pervers narcissique

Le pervers narcissique est une pathologie de plus en plus fréquente, favorisée par nos nouveaux styles de vie et les paradigmes qui les nourrissent. Narcisse, dans le mythe, était amoureux de son image au point d’y perdre la vie. Le narcissique d’aujourd’hui est au centre de son existence d’une telle manière qu’il ne voit pas les autres, qu’il ne les entend pas. Il les veut soumis à son bon vouloir versatile, imprévisible, fantasque. Il commence la plupart de ses phrases par « Moi, je… », manière d’afficher la couleur. Dans ses évolutions paroxystiques, il devient souvent paranoïaque, souffrant d’un sentiment de persécution. Des tendances schizophréniques peuvent donner à cette pathologie une évolution irréversible tragique.

Le pervers, à la différence d’un masochiste, prend son plaisir à s’affirmer, indépendamment de la souffrance des autres qui lui est tout simplement inaccessible. Le pervers narcissique nécessite une psychothérapie que l’intéressé a de bons prétextes personnels de refuser. Alors comment faire face à un conjoint, un collègue de travail ou un chef atteint de cette pathologie ?

Dans les relations que nous sommes obligés d’avoir avec ce type de malade, il faut se rappeler qu’on est face à un individu handicapé dans son système sensoriel : il voit tout, entend tout, ressent tout en fonction de lui, et exclusivement en fonction de lui. Expliquer, discuter, essayer de convaincre, se mettre en colère ne sert à rien. Pire, ces attitudes le renforcent dans son narcissisme.

Première règle : simplifier les problématiques. Ne jamais traiter deux questions en même temps, mais successivement. La multiplicité des sujets étant pour lui une bonne occasion pour emmêler le débat et parvenir à ses fins. En clair : une chose à la fois.

Deuxième règle : partir des faits objectifs en laissant de côté, provisoirement, les ressentis. On peut être blessé, excédé par son comportement, inutile de lui montrer, sa perversion n’attendant que ces manifestations pour le conforter dans son comportement. Essayer dans un premier temps, de se mettre d’accord sur le constat de ces faits sans les interpréter pour le moment.

Troisième règle : affirmer ensuite son interprétation personnelle des faits, sans souci de celle du narcissique, indépendamment d’elle. Valider que cette interprétation est intelligible pour lui, à défaut d’être acceptable. La préciser par écrit pour lui donner consistance et résistance au temps.

Quatrième règle : accueillir alors son interprétation (à lui), en accordant plus d’importance à cet accueil (vos ressentis) qu’à son interprétation proprement dite. La subtilité de cette préférence s’apprend dans une relecture du vécu. Noter son interprétation et vos ressentis par écrit.

Cinquième règle : essayer de trouver un consensus. Le noter ou noter son échec, par écrit.

Ensuite, communiquer au narcissique ce que vous avez écrit. L’écrit doit permettre aux lecteurs de dissocier faits, ressentis et interprétations. Ces pratiques ne le guériront pas. Vous resterez sa victime, mais vous vous protégerez le mieux que vous pouvez.

Sur un plan plus général, il faut vous souvenir que nous vivons dans un état de droit, et que la justice est là pour protéger les individus. Au travail, c’est la hiérarchie qui est sensée assurer cette sécurité. Le problème du « vivre face » au pervers narcissique, c’est l’évolution de sa pathologie. Tout le monde a des accès de narcissisme ; la plupart savent s’en excuser et réparer ; les autres sont suspects. Et à la première récidive, il est important de « saisir » le besoin de justice : demande d’entretien avec le chef, main courante en commissariat. La victime doit poser un acte devant un tiers incarnant la justice comme première démarche pour se protéger. S’il ne s’agit que d’une alerte, l’affaire sera classée. Sinon, la lutte pourra s’organiser. Vos écrits vous y aideront.

Car un jour, il faudra nécessairement dire « Stop ! » Et si le pervers narcissique ne peut disparaître de l’univers de sa victime, ce sera à la victime de choisir : continuer de souffrir, ou partir. Dans les deux cas, ce sera un acte de courage ; l’exercice d’une liberté assumée.

Daniel DUBOIS

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