Archives mensuelles : novembre 2013

L’hiver sera-t-il rude ?

Les facéties de la météo me remettent en mémoire cette fable canadienne. En début d’automne, un trappeur prévoyant s’en va demander conseil au sage indien : « Grand sage, l’hiver sera-t-il rude ? ». Le sage est assis, bien droit, devant sa cahute, à flanc de colline. Il domine tous les alentours. Il met sa main en visière, scrute l’horizon, et d’un ton solennel annonce : « L’hiver risque d’être rude. »

Le trappeur s’en retourne, et bûcheronne tant et plus pour faire provision de bois. Quelques temps plus tard, il remonte voir le sage car l’automne s’éternise. Même réponse. Même ardeur au retour. Le scénario se répète plusieurs fois au point que la cabane du trappeur se trouve ceinturée par deux rangées de piles de bois. De quoi tenir un siège !

Cette année-là, effectivement, l’hiver fut particulièrement rude. Après la fonte des neiges, le trappeur s’en revint voir le sage indien. « Dis-moi, grand Sage, comment as-tu fait pour prévoir cet hiver si rude ? » Le sage, malicieux lui répondit : « J’ai regardé les cabanes des hommes blancs. Car je sais que plus ils coupent du bois, plus l’hiver sera rude. »

Voilà pourquoi, il arrive aux serpents de se mordre la queue. Nous sommes ainsi faits que nous avons besoin d’être rassurés sur ce qui nous est donné, bien que, d’une façon ou d’une autre, nous saurons faire avec. Comme avec la météo ; mais comme aussi avec bien d’autres choses. La Plaisante sagesse lyonnaise le précise à sa manière : « On a beau dire que c’est difficile de mourir, manquablement, tout un chacun finit bien par s’en tirer. » (Tixier, Lyon ; réédition indéterminée ; p. 36).

Les premiers hommes sacralisaient tout ce qu’ils ne maîtrisaient pas. Puis les savants et les philosophes ont trouvé des explications, mettant de plus en plus l’homme au centre, excluant progressivement tout autre monde inaccessible à nos perceptions sensibles. Et, évidemment, en excluant toute relation possible avec ce monde. Le bon vieux Kant s’étonnait de la voûte étoilée (dont le grand Newton avait percé les secrets astronomiques dans une harmonie sidérante), tout autant que la loi morale au fond de son cœur. Nietzsche avait pu conclure à la superbe puissance de l’homme. Et alors ?

Que la météo permette au trappeur de rencontrer le sage indien est une très bonne chose. Tous les deux sont humains, différents, en paix. Leur « commerce » est agréable face à la rigueur des éléments. Mais on sent bien, qu’en cherchant autre chose, ou au-delà, on surfe sur des eaux moins paisibles pour l’esprit. La bêtise n’est pas bien loin. Accompagnée de tous ses désagréments.

Et s’il suffisait d’apprendre, sans cesse, à faire le tri entre notre plaisir de savoir et notre désir de sécurité. S’il suffisait, parfois, de passer des « il faut »  aux « il serait possible de » comme il est possible de s’émerveiller devant une fleur ou la remarque innocente d’un enfant.

Vouloir apprécier une possible sobriété intellectuelle pour jouir d’un bonheur simple…

Daniel DUBOIS

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