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Après-midi luxueux

Voilà un mot : « après-midi », curieux pour l’orthographe. Invariable au pluriel selon le dictionnaire de l’Académie, mais admis avec la forme « après-midis » dans la nouvelle orthographe (bizarre, non ?) ; du genre masculin ou féminin, mais on doit lui préférer, toujours d’après l’Académie, le masculin ; alors qu’au pluriel, on aurait tendance à dire « après-midi luxueuses ». Allez savoir pourquoi mettre le féminin dans ce cas ? Comme amours, délices et orgues ? Mais l’orthographe n’est pas mon propos.

Ayant obtenu ma licence de philosophie, je prends une année sabbatique. « Que vas-tu faire, maintenant ? » me demande mon fils, amusé. Et bien, je jubilationne, au sens propre, comme disent les Espagnols pour les gens en retraite. Et avec ce soleil, je m’offre quelques heures l’après-midi dans un jardin public, car j’y aime autant l’environnement naturel modelé patiemment par le travail des jardiniers, que les gens qui s’y produisent, comme dans un spectacle : des enfants, des parents, des sportifs, des vieux.

C’est notre humanité qui s’exprime là, en toute simplicité, en toute spontanéité, nullement contrainte par quoi que ce soit en dehors des conventions sociales, évidemment. Voici des joggers : certaines aux allures de gazelle, une merveille, tant dans la plastique que dans le mouvement ! D’autres à la limite de l’épuisement, râlant, éructant, raclant les semelles, battant les bras comme pour s’envoler. Je n’exagère qu’à peine. Voici une maman avec son petit à vélo, trois-quatre ans. Il est devant elle à 15-20 mètres, le casque bien mis, regardant autour de lui pour observer ce qui l’entoure. Il a plaisir à vivre et il le chantonne. Quand le petit train arrive sur le chemin, l’enfant se gare sans que le maman n’ait rien dit. Elle est restée attentive, discrète, sans manifester la moindre crainte. Ce gamin déjà bien autonome ira loin. Et voici une petite famille d’un autre genre. Rien qu’à la dégaine des parents, on sent une maturité qui se cherche. Les bambins chouinent et les parents en rajoutent : « Fais pas ci, fais pas ça… » Où apprend-on le métier de parents, déjà ? J’aurais bien envie de jouer au professeur.

Au gré de mes pérégrinations sans but, quand je trouve un banc à l’ombre tamisée d’un grand arbre, et qui, en fonction du soleil, va y rester au moins une heure, je m’assieds et je lis, en prenant quelques notes sur les trois fiches que j’ai mises dans mon livre. Quand elles seront pleines, je rentrerai. Une vielle dame me demande si elle peut s’asseoir à l’autre bout du bout du bout du banc. « — Je vous en prie, Madame. — Merci. » Nous partageons le même bulletin météo. Puis silence. Je reprends ma lecture. Je perçois un mélange exotique de poudre de riz et de sueur, sur un fond de gel douche au mimosa. Il est vrai que ce soleil nous surprend tous. Et plus on est vieux, moins on réagit vite à ces caprices de la météo. Alors, on a facilement trop chaud… Elle repart quelques minutes plus tard. Je lui retourne sa salutation respectueuse.

Ce que je lis, en ce moment ? Retour à l’émerveillement, de Bertrand Vergely. Et je reconnais que ce philosophe se lit très bien dans un jardin public !

Daniel DUBOIS

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