On n’a pas toujours tort d’avoir raison tout seul !

Ce fut ma première réaction en lisant sur le site de France Info, la rubrique passée à l’antenne le 18/01/2013, à 19:55, intitulée La dictature des minorités de Patrice Bertin. « À première vue, la Démocratie [sic], c’est la loi du plus grand nombre. On a raison quand on est plus nombreux que ceux qui pensent différemment et qui du coup ont tort… » Cette accroche mérite réflexion. Voici ma deuxième réaction.

« Avoir raison » ou « avoir tort » : ces deux expressions expriment normalement le résultat d’une recherche de la vérité, ou la qualité d’un jugement ou d’un raisonnement par rapport à la vérité. Mais elles disent autre chose. « Avoir raison », c’est être dans le droit chemin ; être dans le bien, dans l’adresse, être placé comme il faut pour atteindre le but, être correct. En revanche, « avoir tort », c’est être gauche, être dans le mal, aller vers l’échec. Par exemple, pour un problème de mathématiques, le professeur soucieux d’encourager son élève dira de sa solution qu’elle est juste ou fausse ; un moins délicat dira qu’il a raison ou tort. On passe donc en utilisant ces mots raison ou tort, subrepticement, d’une notion purement intellectuelle à une notion morale.

Comprenons bien ici les liens, en apparence anodins, entre des notions complètement différentes telles que jugement ou opinion (intellectuel, vrai ou faux), décision ou choix (moral, bien ou mal) et politique (pouvoir majoritaire ou minoritaire). Et comprenons surtout, la hiérarchie induite par ses notions telles qu’elles nous sont présentées : c’est le pouvoir qui commande la définition du bien et du mal, laquelle nous permet de savoir ce qui est vrai ou faux. On croit entendre un père qui martyrise son enfant, dire : « c’est pour son bien ».

Quand on nous parle de démocratie, on nous parle de pouvoir. Le mot dictature dans le titre le confirme. Dans une démocratie, les décisions se prennent à la majorité : par exemple, le pouvoir sensé agir pour le bien commun, est désigné par la majorité. Mais en aucun cas, contrairement à ce qu’affirme l’accroche de France Info, une démocratie ne sépare ceux qui ont raison, parce que majoritaires, de ceux qui ont tort, parce que minoritaires. Car la vérité est ailleurs. Comme la morale du reste.

On comprend que la confusion de cette accroche est regrettable car elle joue avec la représentation de nos valeurs. Qui peut dire ce qui est vrai ou faux ? Qui peut dire ce qui est bien ou mal ? Ces réalités ne se déterminent pas à la majorité. Se concrétisant toujours dans un contexte et son histoire, dans un jeu de relations, elles se réfèrent à un absolu. Cet absolu fait qu’on ne peut pas s’approprier la définition du bien ou du mal, ni celle du vrai ou du faux ; on ne peut les définir ni par soi-même, ni par idéologie ni par référendum ; sinon, elles ne seraient plus absolues. Leur mise en œuvre concrète est le résultat d’une quête mystique, dans une relation entre le plus profond de nous (ce pourquoi nous acceptons de vivre, et parfois de mourir) et ce qui nous dépasse. Cette même quête nous éclaire, par sa dynamique, dans nos choix concrets ; elle nous guide dans nos engagements ; elle nous fortifie dans nos hésitations, nos faiblesses comme dans notre fidélité ; ceci est très important.

Il n’est jamais pas trop tard pour apprendre le sens des nuances. Concernant le bien et le mal, nous avons des mots appelés comparatifsmieux ou pire ; essayez de les utiliser à la place de bien et mal : vous les emploierez beaucoup moins souvent et ce sera le meilleur début qu’on puisse vous souhaiter. Essayez aussi l’humour, et osez la patience ; ces ingrédients me semblent indispensables pour la vigilance qui accompagne tout combat pour les valeurs.

Nous grandirons alors en humanité car, sans doute, « on n’a pas toujours tort d’avoir raison tout seul ! »

(Toute ressemblance avec des débats actuels et futurs n’est absolument pas fortuite…)

D. Dubois

pdf Version PDF

Tous droits réservés © Daniel Dubois – Décines, 2013