Pour moi, sans moi : non merci !

Je relève dans un forum récent de La Croix (du 05/03/2013, p. 23, « Comprendre les mécanismes de l’exclusion avec ceux qui la vivent »), l’adage attribué à Nelson Mandela : « Tout ce qui est fait pour moi sans moi, est fait contre moi. » Je connais un proverbe voisin : « On ne fait pas le bonheur des gens malgré eux. » Plus académique, Vincent Lenhardt, un des premiers coachs français de managers, précisait : « Pas de demande, pas de coaching ! » (pour contrer les demandes d’une hiérarchie « bien intentionnée » comme dirait Brassens, peu soucieuse d’associer dès le départ l’intéressé à la démarche). La leçon est simple : chaque personne doit pouvoir être le demandeur de ce qui la concerne, pouvoir décider ce qu’on propose de lui faire et pouvoir participer à sa réalisation.

Hélas, il me semble que nous avons tous, par nature ou à certains moments, la volonté d’avoir du pouvoir sur l’autre. C’est notre côté animal. Dans les troupeaux ou les meutes, il y a toujours un dominant. Et un dominé qui normalement devient agressif lorsqu’on porte atteinte à son territoire, à sa nourriture ou à sa femelle, va s’écraser devant un dominant. Même entre civilisés, nous constatons ce type de rapports : entre parents et enfants, entre homme et femme, et bien sûr entre chef et non-chef. Il faut reconnaître que c’est souvent plus facile de décider pour l’autre ; ou plus rapide ; ou encore, plus efficace. Au moins pour celui qui décide ; pour celui qui a le pouvoir de décider. Alors que faire quand l’autre ignore si facilement mon désir d’être participant de ce qui m’arrive ? Quand ma prétention à savoir ce qui fait mon bonheur est tout simplement niée ? Quand ma demande face à mes manques ou à mes souffrances n’est pas entendue ?

Je pourrais parler de cette violence physique, parfois morale, contre laquelle, trop faible, on n’a pas les moyens de résister sur le même niveau ; ou de ces doubles contraintes, comme cette mère qui offre deux cravates à son fils pour son anniversaire, bien qu’il n’en met que rarement ; pour lui faire plaisir, il en arbore une le lendemain matin, et s’entend dire : « Bien sûr, l’autre ne te plait pas ? ». Car même dans ces situations, nous sommes dans notre sujet : « … pour moi sans moi… » ou « pas de demande… ». Qui dit qu’il ne faut pas demander à quelqu’un quel cadeau lui ferait plaisir au prétexte de la surprise ?

En fait, beaucoup de personnes, impatientes, anxieuses, fragiles – par tempérament ou à l’occasion d’une épreuve – se rassurent en faisant du bien aux autres. Vieux relent d’une charité mal ordonnée qui ne commence pas par soi-même. Le sentiment de culpabilité s’invite parfois ; cette démarche n’en est alors que plus complexe. Vu de loin, détaché, il est facile de dire que ces personnes feraient mieux de s’occuper d’elles pour nettoyer leur anxiété ou leur fragilité. Car malheureusement, ce genre d’activité humanitaire ne fait que renforcer leur propre plainte. Et de sauveur, elles deviennent souvent persécuteur, comme Karpman l’a montré dans son « triangle dramatique ».

L’entourage doit alors pouvoir intervenir et rappeler, à temps et à contre temps, ce respect absolu de l’autre qui consiste à le laisser décider de ce qui le concerne, sauf à protéger sa vie si c’est nécessaire, et d’être l’acteur principal de son existence. Face à celui qui enfreint ce respect, il me reste alors à l’inviter à la patience, à accueillir son anxiété ou sa fragilité pour l’aider sur ce terrain.

Enfin, pour lui proposer… de l’aider, en étant attentif à sa demande et bien décidé à la respecter. Et en veillant, si cette demande me rassure, à ne pas devenir moi-même face à lui, persécuteur ou victime.

Et s’il ne demande rien, explicitement ou implicitement, que j’aie alors, silencieusement, le courage de le laisser aller, libre, sur son chemin.

D. Dubois

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