L’homme qui plantait des arbres

Pour Astrid

Connaissez-vous cette nouvelle de Jean Giono L’homme qui plantait des arbres ? Un berger ramasse des glands et des faines, les sélectionne à la veillée, et plante les meilleurs. Pendant des dizaines d’années. Voilà comment en Haute Provence, des forêts de chênes ou de hêtres ont poussé toutes seules. Car cette histoire est véridique. Giono, enfant, quand il se promenait avec son père sur les hauteurs de Manosque, plantait aussi des glands dans un trou que son père forait avec sa canne… Genèse magique. Méditons.

 A la veillée, L’homme qui plantait des arbres sélectionne méticuleusement ses glands ou ses faines. Il en élimine un grand nombre qui finissent dans le feu de la cheminée, gardant les meilleurs, comme une ressource rare qu’il range délicatement dans sa besace.

Aujourd’hui est aussi le futur d’hier. Hier, comment ai-je observé tout ce que j’ai vécu ? Comment ai-je fait le tri pour n’en conserver que le meilleur, mettant au feu de l’oubli les mauvaises graines ? Dans mes recherches d’amour ou de confort, dans mes essais pour réduire mes douleurs ou mes chagrins ? Dans mes espoirs et dans mes rêves ? Serait-il encore temps de faire le ménage dans cette mémoire qui m’appartient et que je peux meubler à ma guise ?

Cet homme qui plantait des arbres, conduit chaque jour son troupeau dans un endroit sans arbres. Et le laissant à la garde de son chien, il arpente les collines, les vallons en répétant inlassablement les mêmes gestes : un trou avec sa barre de fer « grosse comme le pouce », une graine jetée au fond et recouverte de terre légèrement tassée. Jusqu’à deux cents, les bons jours. Cent mille en trois ans ! Tout ça en plus de son métier de berger.

Alors, je m’interroge : quel futur se prépare dans mes multiples moments de disponibilité, plus ou moins fugaces ? Le mien bien sûr, mais aussi celui des humains qui partagent mon univers, ma planète ? Quel sens je donne à tous ces gestes répétitifs sans gloire qui s’intercalent entre mes rares belles et nobles actions ? Qu’est-ce que je fais, par exemple, de tous ces regards furtifs, complices ou refusés ? Comment j’enfante l’avenir au jour le jour ? Un futur choisi, désiré, construit volontairement de ces petits riens ?

Sur 100.000 glands plantés, il en sortait 20.000 de terre, et là-dessus, notre ami comptait en perdre la moitié « du fait des rongeurs ou de tout ce qu’il y a d’impossible à prévoir dans les desseins de la Providence ». Ne soyons donc pas chiches. Et soyons fiers des 10% restants. Alors, Elzéard Bouffier « … me répondit… que si Dieu lui prêtait vie, dans trente ans, il en aurait planté tellement d’autres que ces dix mille seraient comme une goutte d’eau dans la mer ».

Quelle abondance, malgré un sol ingrat. Le pays aride en est bientôt transformé : voilà la forêt, les oiseaux, le gibier, l’eau surtout – car la forêt est une éponge. Voilà les hommes qui reviennent, on entend leurs enfants rire et chanter. L’homme qui plantait des arbres enfante la vie.

L’essentiel est devant nous. Le présent est à son service. Mais en creux, comme un trou de canne. Comme en germe. « Si le grain ne meurt… » Ah ! si nos perspectives entre présent et futur pouvaient s’inverser, comme Elzéard Bouffier nous l’apprend !

« Quand je fais le compte de tout ce qu’il a fallu de constance dans la grandeur d’âme, et d’acharnement dans la générosité pour obtenir ce résultat, je suis pris d’un immense respect pour ce vieux paysan sans culture qui a su mener à bien cette œuvre digne de Dieu. »

Une œuvre digne de Dieu… La Vie… entre nos mains.

D. Dubois

(Les citations sont de Giono, tirées de http://permaculteur.free.fr/ressources/Giono-arbres.pdf ; consulté le 18/03/2013)

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