Boules à neige

Tout le monde connaît ces boules de verre qui ravissent les enfants : à l’intérieur, un paysage (un monument, une statue) repose sur un tapis de paillettes blanches. Quand on secoue le bibelot, la neige remplit la boule, masquant provisoirement le décor. Il faut attendre que la neige retombe – ce qu’elle fait lentement – pour voir, à nouveau, l’intérieur.

Dans tout accompagnement, individuel ou d’équipe, comme dans toute confidence partagée, pointe à un certain moment, une montée d’émotion : ce qui est en train de se dire est très important, on touche à l’essentiel. Mais, indépendamment de l’émotion, qui normalement se calme au bout de quelques instants, il est utile de garder mémoire des paroles dites car elles peuvent avoir des répercussions qui vont s’étaler dans le temps, parfois pendant longtemps. La personne ainsi troublée, actrice de ce qui lui arrive et de ses découvertes, ressemble alors à une boule à neige qui vient d’être secouée. Ce n’est pas dans cet état qu’elle peut prendre connaissance de ses « paysages intérieurs » ; il lui faut attendre que la neige retombe. Voilà pourquoi le tiers, le confident, est important : il assure un rôle de mémoire.

Une boule à neige déclenche l’émerveillement devant le passage progressif d’une neige qui bouillonne à une neige qui retombe en laissant émerger ce qui était caché. De même, chez quelqu’un qui a été secoué, le plaisir de vivre revient avec le calme. Il reprend possession de ses repères intérieurs. Il retrouve son paysage habituel, mais souvent avec un autre œil, après un moment d’attente ou un travail de composition avec le temps. Un travail de digestion des évènements.

Pourtant, vous trouverez, ici ou là, des gens bien intentionnés qui ne supportent pas ces attentes, ni pour eux ni pour les autres. Ils sont pressés en permanence, sans comprendre qu’ils secouent ainsi la boule à neige, refusant d’admettre qu’il serait préférable de lever le pied pour y voir clair.

Car nous vivons bien souvent comme dans des boules à neige que nous secouons en permanence. Peut-être même depuis si longtemps, qu’on en a oublié que la neige cache quelque chose. Ou encore, que c’est notre environnement qui nous secoue, sans notre avis, et sans que nous ayons notre mot à dire !

Peut-être. Mais la règle sacro-sainte qui interdit toute décision sous état émotionnel négatif ne nous interdit pas, bien au contraire de profiter des accalmies passagères… ni encore moins, de les provoquer si nécessaire. Voilà pourquoi les randonnées, pèlerinages et autres retraites de silence ont aujourd’hui tant de succès !

Nous tous qui sommes ‘écoutants’, à l’occasion ou par engagement, nous nous laissons parfois abuser par ce besoin de changer, d’évoluer, d’aller mieux que l’autre nous exprime avec émotion. Nous pouvons alors avoir la faiblesse de chercher quoi changer (Ah ! Ces conseils que nous donnons généreusement qui ne cherchent qu’à nous rassurer avant tout !). C’est le syndrome de l’infirmier qui s’évertue à changer le pansement au lieu de soigner la plaie en profondeur. La netteté du pansement fait illusion sur l’évolution de la guérison. Jean-Louis RAPINI de Guichets Fermés, l’avait bien exprimé bien dans une de ses premières pièces : on confond souvent « changer le pansement » et « penser le changement ».

Ne pourrions-nous pas imaginer nos espaces décisionnels et opérationnels, là où nous prenons nos décisions et là où nous agissons, comme des boules à neige ? A secouer de temps en temps, pour le plaisir du spectacle mais aussi en sachant attendre une éclaircie ? Et celle-ci venue, décider alors de prendre encore le temps, en faisant délicatement tourner la boule à neige dans nos mains, de découvrir de nouvelles perspectives et de s’émerveiller de leur beauté émergente ?

Devenus disponibles, alors, pour penser le changement.

Daniel DUBOIS

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(Guichets fermés est une société lyonnaise qui propose formations, sensibilisations et actions de motivation utilisant le théâtre dit « d’entreprise » – www.guichets-fermes.com).

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