Archives mensuelles : décembre 2013

Carte, territoire et Korzybski

Les éditions de l’Éclat, Paris, avaient édité en 1998 un recueil de textes de Korzybski traduits en français, sous le titre principal Une carte n’est pas le territoire, devenu rapidement indisponible. Une réimpression récente (2010) nous permet enfin d’avoir quelques textes de ce révolutionnaire du langage (extraits et biographie disponibles aussi sur www.lyber-eclat.net/lyber/korzybski). C’est un bon début, car à ma connaissance, aucun ouvrage de ce précurseur génial n’est actuellement disponible en français.

Alfred Korzybski (1879-1950) est issu de la noblesse polonaise, celle qui a nous a donné des scientifiques de renom. Officier dans les services de renseignements russes pendant la première guerre mondiale, il émigre ensuite aux États-Unis où il se consacre aux sciences humaines. Il a pressenti que notre système de langage, basé sur les présupposés du syllogisme aristotélicien, n’était plus adapté à l’heure de la relativité générale et de la physique quantique.

La logique du grand Aristote qui a, entre autres, servi de base à la réflexion théologique catholique du Moyen-Âge dont nous avons beaucoup de mal à sortir, est basée sur une confusion majeure dans l’utilisation du verbe être : emploi comme auxiliaire, copule entre un sujet et son attribut, affirmation d’une essence, constat d’une existence. Ces regrettables confusions nous amènent à réduire une réalité à ses qualités. Ce système repose sur deux postulats : la non-contradiction (une chose ne peut pas « être » et « ne pas être » en même temps…) et le tiers-exclus (une chose est soit vraie, soit fausse ; il n’y a pas d’entre deux). Or ces deux principes de base sont contredits par la physique quantique et la relativité générale. Voilà pourquoi la logique aristotélicienne est désormais un frein pour la science moderne.

L’apport de Korzybski se traduit par trois principes. 1. « Une carte n’est pas le territoire ». En d’autres termes, nos descriptions de la réalité se font en utilisant des filtres qui retiennent certains éléments et en excluent d’autres. Donc, dans une structure, les différents niveaux (personnes, groupes) peuvent utiliser des cartes différentes. 2. « Une carte ne couvre pas tout le territoire ». En clair, la réalité est plus vaste que nos représentations. Elle se situe toujours en partie au-delà. De quoi nourrir notre humilité. 3. « Toute carte est auto-réflexive ». Pour lire une carte, il nous faut une légende, une échelle : ce sont des cartes de la carte, sur lesquelles on peut faire les mêmes remarques que pour la carte.

Korzybski a mis sa théorie en pratique, en particulier dans des grosses organisations, où la communication y a manifestement gagné en précision, confort et efficacité. Ses intuitions ont été reprises par la PNL qui a élargi son audience.

Je n’ai pas la prétention de faire un résumé de la sémantique générale de Korzybski en 3000 signes. Mais dans ma quête d’un art de vivre, je retiens son audace à prétendre que notre cerveau fonctionne basiquement à partir du langage, et qu’en modifiant ce dernier comme il nous y invite, nous nous ouvrons des champs de découvertes qui pourraient bien, à l’heure d’Internet et de la noosphère, révolutionner notre être-au-monde.

Daniel DUBOIS

pdf Version PDF

Tous droits réservés © Daniel Dubois – Décines, 2013