Le goût de vivre

« Le goût de vivre » (dans L’Activation de l’Énergie, tome 7 de l’édition originale au Seuil, des Œuvres de Teilhard de Chardin, p. 237) est une conférence donnée cinq ans avant sa mort (le jour de Pâques 1955), date à laquelle il n’avait plus grand-chose à prouver de son expertise. Ce texte que je reçois comme essentiel, est une bonne méditation pour les fêtes pascales.

En introduction, Teilhard précise ce que signifie pour lui le goût de vivre, « cette disposition psychique à la fois intellectuelle et affective en vertu de laquelle la vie, le Monde, l’Action nous paraissent, dans l’ensemble, lumineux – intéressants – savoureux ». Il précise ensuite sa démarche : 1. Il veut montrer que le goût de vivre « n’est rien de moins que l’Énergie d’Évolution universelle […] attrait inné pour l’être » au plus profond de chaque personne. 2. qu’il nous revient « d’alimenter et de développer ». 3. dans des opérations vitales qui sont de l’ordre du symbolique. Suivons-le.

1. Pour Teilhard, la survivance du plus apte « présuppose chez les éléments en compétition, un sens obstiné de la Conservation, de Survie ». Ce sens, c’est le goût de vivre. Dans sa conception de l’évolution, Teilhard note « cette priorité inflexiblement donné à l’improbable sur le probable, à l’ordre sur le désordre, à la vie sur la mort, tout au long des périodes géologiques ». Il conclut que « le Monde resterait stationnaire… s’il ne trouvait primordialement, au cœur de lui-même, un facteur ascensionnel qui, exprimé en termes d’expérience humaine est précisément le “vouloir vivre” ».

2. Mais ce goût de vivre, au niveau de l’humain, prend des caractères complexes et nécessite désormais un développement exponentiel. Qui s’en soucie ? « Tel un malade écœuré par la vue d’un festin, tel l’Homme, atteint de nausée biologique, ferait très certainement la grève de la Vie, fut-ce au fait de son pouvoir de découvrir et de créer. Et cette grève, il la fera si… ne monte pas en lui l’intérêt… de plus en plus passionné pour l’œuvre qui lui est confiée… A quoi bon… si nous en venions à perdre le goût de l’évolution ! »

Toujours plus et encore plus… Mais pas n’importe comment. Car là, Teilhard précise, puisque pour lui l’évolution va vers de l’Ultra Humain : « ultimement, l’Ultra-Humain ne saurait se construire qu’avec de l’Humain ; et l’Humain n’est pas autre chose qu’un vouloir, à la fois intensifiable et périssable de subsister et de grandir ». Il en appelle donc à une nouvelle science qui répondrait à la question « Comment entretenir et ouvrir plus large, au fond de l’Homme, la source de son élan vital ? » Et il voit deux pistes : les hallucinogènes, arsenal chimique pouvant amener l’homme a une super-puissance qui butera bien un jour sur une limite physique (maladie, mort) ou bien « travailler, intellectuellement et affectivement, à dégager et à exalter en nous, sur base solide, des Raisons et des Attraits toujours plus puissants de vivre… une Foi… Savoir qu’il y a une issue, et de l’air, et de la lumière, et de l’amour, quelque part, au-delà de toute Mort. » 

3. Enfin, concernant le troisième axe (le symbolique), Teilhard en appelle à une reconnaissance des grands courants mystiques du monde : leur tradition est comparable à la phylogenèse sur laquelle s’appuie l’évolution, et d’autre part, « ce sont des expériences de contact avec un Ineffable suprême qu’elles conservent et qu’elles transmettent [… pour que…] soutenus et guidés [par eux]… nous réussissions… à entrer directement en communication réceptive avec la Source même de tout élan intérieur ». « La tension vitale du Monde… directement infusée au fond de notre être […] : l’Amour […] liaison […] intime […] entre Mystique, Recherche et Biologie. »

Je suis toujours admiratif devant une réflexion si limpide et si rigoureuse…

Bonnes fêtes de Pâques.

Daniel DUBOIS

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