J’ai lu récemment dans la Bible, un passage de la 2e lettre de Paul aux Corinthiens, sur la générosité. Corinthe, au premier siècle, pourrait être comparée à Marseille aujourd’hui, le diésel et certaines autres choses en moins. Paul les aime tendrement ces Corinthiens, bigarrés, fougueux, et pourtant pas vraiment la crème des beaux quartiers. Il les exhorte dans son chapitre 9 à donner pour leurs frères de religion qui sont dans le besoin à Jérusalem : « Dieu nous rend riches, pour que nous soyons généreux ». Et dans son argumentaire, tout sémitique, il avait commencé par rappeler le proverbe : « Qui sème chichement, récolte chichement ; qui sème largement, récolte largement ! »
Ces semailles et cette générosité mélangées m’interrogent.
Je suis naturellement porté par mon éducation, par ma formation, et par mon expérience de la vie, à être ouvert aux autres. Ma sensibilité me rend attentif. Et je suis un peu éponge. Tout ça pour dire que ma relation à l’autre fonctionne apparemment bien dans un sens : je sais recevoir. Mais, en ce qui concerne l’autre sens, donner, aller vers, j’avoue bien simplement que ça fonctionne moins bien. En tous cas, c’est moins spontané ; ou plus réfléchi. Logique, car je pourrais facilement y laisser la peau. J’évite d’y mettre un doigt ; pour ne pas y mettre le bras et le reste.
Quand j’entends : « Semez largement ! », j’entends que je devrais user de la même générosité pour donner que celle qui me fait recevoir. J’entends aussi le mot ‘semer’ qui implique de prélever sur les récoltes une part non consommée, de la mettre à l’abri en attendant le temps des semailles, et enfin de vouer cette part à la destruction dans la terre pour une hypothétique récolte multiplicatrice. Dans l’homme qui plantait des arbres, j’avais déjà évoqué ce risque de la récolte par rapport aux semailles. Ce risque du semeur, je crois bien le comprendre, et je suis prêt à l’assumer. Il fait partir de ma dynamique d’accueil.
Reste donc la question de ma générosité. Car avec son inertie initiale paralysante, c’est une véritable question. J’élimine d’emblée tous ces artifices auxquels nous a habitué un marketing douteux dans le business du don : premier cadeau, et si vous répondez dans les 5 jours, deuxième cadeau, déduction fiscale, etc. J’élimine aussi l’émotionnel, concrétisé dans ce même marketing, par un petit objet choquant, par une photo, d’enfant de préférence. J’élimine aussi ma culpabilité ; je n’ai ni les moyens, ni l’ambition de sauver la terre entière de ses malheurs.
Quand on donne, soit on prélève sur le superflu : don indolore et sans saveur ; soit on prélève sur le nécessaire : don douloureux, angoissant ; soit on donne tout ce qu’on a ou tout ce qu’on est, sa vie : don total. Voilà pour l’objet du don. Mais quand je lis : « Dieu nous rend riches pour que nous soyons généreux », je pense qu’on peut aborder la générosité autrement : il nous faut parler de celui qui donne, du généreux.
Le généreux fait quelque chose d’exceptionnel, à la limite du possible, avec un effort surhumain. Le généreux pourrait être Superman. Le généreux peut aussi être comparé au paysan : il prévoit ses cultures, prélève sur les récoltes, les conserve et sème ensuite. Le généreux serait alors celui qui sait gérer son planning et son budget ! Mais encore ? Le généreux ne serait-il pas celui qui se situe au plus profond de lui même, là où l’immensité de la Nature l’invite à un dépassement sans limite, et auquel il consent en faisant un petit pas, chaque jour.
Le généreux authentique serait alors celui qui participe à cette quête d’infini qui nous habite tous. Celui qui sait retrouver cette étincelle qui nous habite pour allumer le bonheur de notre planète et de ses habitants. Un bonheur infini, inconnu encore. Un bonheur espéré pourtant, comme l’océan primordial pouvait espérer la Vie qu’il couvait.
Entretenir alors cette petite flamme, comme un amour en forme d’offrande.
Daniel DUBOIS
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