Blague à part !

Je relève dans le courrier des lecteurs (La Croix du 15/02/2013) : « … Dire : “Nous ne présenterons pas de candidats” n’est pas très fin, mais il est encore moins fin de lui reprocher cette innocente plaisanterie. Un pays où on ne raconterait plus d’histoires juives risquerait fort de devenir antisémite… »

Voilà un bel exemple de confusion que j’aime à dénoncer. Mais commençons par un petit détour. La réalité se présente à nous avec des repères ; nous la percevons dans une perspective qui dépend de ces repères ; nos réactions sont conditionnées par cette perception nécessairement partielle. L’apprentissage aidant, nous nous forgeons des modalités (possible/impossible, permis/défendu, facultatif/obligatoire) qui vont nous motiver ou nous freiner. En sublimant tout ça, on adopte une personnalité, un rôle social, et certains se forgent un idéal, une raison de vivre, et parfois de mourir.

J’utilise en communication un outil fabuleux d’analyse et de changement : les niveaux logiques de R. Dilts. Chaque niveau nous permet de décrire la réalité en répondant à une question précise. On commence par l’environnement (où et quand ?) : niveau des contraintes et des opportunités ; puis le comportement (quoi ?) : niveau des actions, des paroles, des écrits, des omissions parfois ; puis les capacités (comment ?) : niveau des compétences, de l’expérience et aussi des plannings, méthodes, enchainements. Après ces trois niveaux matériels, on passe aux niveaux spirituels ; les croyances (pourquoi ?) : niveau des convictions, des motivations, des freins, des peurs ; puis le niveau identité (qui ? qui est le sujet dans cette réalité explorée ?) : personnalité, rôle ; et enfin, le niveau mission (pour qui ou pour quoi ? en deux mots) : niveau de l’idéal, de la trace qu’on veut laisser, de l’engagement, du sacerdoce.

La blague de Fr. Hollande se reçoit au niveau comportement, dans le contexte du renoncement de Benoît XVI qui se reçoit, lui, au niveau mission. Tous les conflits, tous les blocages relationnels, prennent leur source dans ce genre d’écart. Le cas typique est celui qui s’entend dire « Tu es fou ! » (niveau identité) pour une maladresse catastrophique (comportement) – mon petit-fils m’avait alors répliqué en souriant : « Non, il m’arrive seulement d’être parfois maladroit ». Bien vu ! À ce stade, on peut regretter que Fr. Hollande ne se soit pas placé, pour la rencontre en profondeur à laquelle invitait cet événement, dans la perspective du niveau mission originel. L’a-t-il voulu ? A-t-il été aveuglé par son propre niveau mission ? Je constate seulement que sa réaction nie la mission de l’autre. Dans l’analyse des niveaux logiques, nous disons que son attitude n’est pas congruente.

Notre honorable correspondant, en évoquant les « histoires juives », commet la même erreur de synchronisation. Raconter une blague juive se fait dans un environnement particulier, et se perçoit au niveau comportement. En revanche, « devenir antisémite » se perçoit au niveau identité, ou pour le moins au niveau des croyances. On a la triste mémoire d’une organisation (niveau capacités) mise en place en fonction de ces croyances.

Je retiens de cette petite histoire qu’il nous faut être très vigilant sur nos positionnements respectifs. On ne peut pas tout dire, n’importe où, n’importe quand ou n’importe comment. Toute rencontre, toute alliance doit être reçue dans la perspective d’un niveau circonstanciel (par exemple, aujourd’hui pour Benoît XVI : la mission) ; la sagesse consiste à rencontrer l’autre sur ce niveau fondamental (ce que les opinions favorables font, en général, spontanément). En cas de désaccord, et si on veut se mettre d’accord, on s’aligne sur le niveau le plus bas pour se retrouver et essayer ensuite d’élever le débat vers les croyances, l’identité ou la mission, là où l’autre était positionné initialement.

Beau programme !

D. Dubois

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